[RP] Introduction Isawa Yoko : A l'ombre du pinceau

Ambiance

Yoko trempa son pinceau dans l'encre noire et suspendit son geste un instant, hésitante.
Elle s'était installée dans sa chambre ouverte le jardin, pour travailler tout en profitant de la brise qui agitait le prunier derrière le panneau de papier. Puisqu'on ne recevait personne aujourd'hui, elle avait obtenu la permission de ne pas se coiffer aussi strictement que d'habitude, et elle avait abandonné avec plaisir les peignes et les épingles pour un simple ruban qui retenait ses cheveux en queue de cheval, à l'exeption de deux longues mèches de part et d'autre de son visage.
Tout autour de son pupitre de bois, des feuilles persemaient les tatamis. Couvertes de kanjis, leurs textes se répétait sans cesse.

Yoko cherchait son Nanori. Avec une grande application, elle y pensait depuis des jours. La date approchait en même temps que l'époque des pêches. Une époque radieuse. Le caractère de Yoko s'accordait si bien avec les pétales translucides et légèrement parfumés qu'une des servantes de la maison avait juré que la saison l'avait faite exprès. Yoko n'en savait rien, en vérité, mais l'idée de profiter de la beauté des pêchers la ravissait par avance.
Pour préparer convenablement ce moment, la jeune fille avait consacré son après-midi à écrire des nanoris. En les voyant ainsi inscrits dans le bleu profond de l'encre, elle serait plus à même d'en juger l'adéquation. Si sa calligraphie parvenait à la toucher, alors elle aurait trouvé le nom qu'il lui fallait.

Forte de cette conviction, Yoko était penchée sur son pupitre depuis deux heures. Elle avait préparé l'encre avec grand soin jusqu'à atteindre la viscosité idéale. Celle qui aurait pu tracer une fleur de pêcher d'une seule goutte.
Elle savait que le vent, -kaze, devait figurer dans son Nanori. C'était à la fois pour la coutume, car sa mère le portait aussi, mais parce que Yoko n'aurait pas pu se définir autrement qu'avec le vent.
Son exigence restait insatisfaite. Les calligraphies étaient réussies mais pas parfaites. Elles ne lui disaient rien. Pour l'enfant qui avait entendu "les voix dans les arbres" dès l'âge de trois ans, une calligraphie muette était une calligraphie ratée.
Les voix dans les arbres... Cette petite formule naïve avait surpris tout le monde et ravi beaucoup d'Isawa. Ainsi donc la petite était "douée". Son nom, Yoko, avait peut-être même été soufflé par les kamis à ses parents le matin de sa naissance. Rumeur taquine que celle-ci.

Yoko se mordit la lèvre et reposa son pinceau sans avoir rien écrit. Elle se leva et lissa son kimono. Il était crême et semé de petite fleurs de pommier rouges et blanches, pour s'accorder à la saison. S'asseyant sur le bord de l'engawa, elle attrapa un bol de thé et en sirota une gorgée en silence. Il n'était plus très chaud. Jetant un oeil compatissant à son pupitre, elle prit un instant pour se reposer en laissant son regard se perdre dans les branches du prunier.

Vingt pensées se bousculèrent dans sa tête. La calligraphie, la cérémonie, les allers et retours qu'elle avait bien remarqué et qui annonçaient l'ouverture des négociations de son mariage... Elle pensa à Tsugukira. Elle aurait voulu avoir son avis sur le sujet. Son frère lui était toujours d'un tel réconfort dans ces turpitudes. Il n'avait pas son pareil pour apaiser ses questions d'une caresse ou d'un sourire.
Il fallait aussi qu'elle annonce à sa mère la décision qu'elle avait mûrement réfléchi en son fort intérieur : rester au Shegunja. Oh, sa mère approuverait certainement. Issue du noble clan du Dragon, elle voyait d'un bon oeil le don de sa fille. "Très prometteuse", avait dit les maîtres l'école. Yoko ignorait ce que pouvait bien vouloir signifier une phrase si sybiline mais son senseï serait aussi content que dame Kazeakeyo.
Et Yoko se réjouit autant de leur plaisir que de la douceur du printemps.

Yoko avait eût le temps de sortir son éventail pour se dissimuler au mieux. Il aurait été malséant pour Iekata de surprendre la jeune fille dans le relachement de son intimité. Elle leur évita ainsi une oprobe à tous deux.
Elle accueillit le message en s'inclinant profondement devant la parole de ses maîtres. Elle devait prévenir dame sa mère mais il était évident que l'accord lui serait donné. On ne refuse pas un ordre de l'école, surtout lorsqu'il se pare des atours de l'inhabituel.

L'embrasement du jardin était exceptionnel ce soir là. Le couchant semblait être tombé dans toute sa magnifiscience sur les jeune feuilles des arbres. Ses rayons semblaient vouloir parer d'or chaque chose et le papier calligraphié s'embrasa d'un jaune intense.

Yoko ramassa les feuilles, les lia entre elles et les rangea à l'abri. Elle se saisit ensuite d'un baton d'encens qu'elle alluma entre ses mains jointes.
Agenouillée devant le couchant, Yoko murmura :

- Bénie soit ta lumière et ta bonté, astre divin.
Bénie soit ta course.
Bénie soient les kamis de Rogukan.
Je m'en remets à votre volonté et à votre guidance comme à celle de mon maître et des miens.

Lorsque le batonnet fut totalement consumé et ses cendres dispersées par la fraîche brise du soir, Yoko s'appréta du mieux qu'elle pu pour rendre visite à sa mère. Elle alla trouver une des servantes et demanda si dame Kazeageyo pouvait la recevoir un instant.

Alors qu'elle sortait de la pièce, Yasue traversait jsutement le couloir de la demeure principale.

L'agencement de la maison Isawa était assez simple. Un couloir traversant en L désservait toutes les pièces.

L'entrée n'était pas séparée du couloir mais formait un espace assez large pour contenir cinq ou six personnes. Face à l'entrée se situait la pièce commune, lieu où l'on se retrouvait pour les instants de vie commune de la famille, notamment les repas et quelques partage de thés occasionnels ou lorsque l'on avait besoin de s'entretenir à plusieurs de sujets divers. Un mur marquait le bord de l'entrée et le couloir formant la base du L courait derrière, desservant les pièces mineurs comme la cuisine, la salle d'eau et le garde-manger.

L'autre branche de ce L partait de la gauche de la salle commune pour desservir les pièces des maîtres de lieux. La première pièce était celle de Yoko, attenante à la salle commune et donnant, de l'autre côté, en plein centre du jardin. La pièce suivante, était celle de son frère. Au bout du couloir, un escalier permettait d'accéder à l'étage. L'étage était composé d'une deuxième salle commune, réservée à son père ; son utilisation était synonyme de secrets et de tractations, souvent politiques. Puis venait la pièce de vie de ses parents. Faisant à la fois office de chambre et de lieu de travail. Une pièce supplémentaire était le lieu de détente et des arts. La mère de Yoko s'en servait également pour recevoir le cas échéant. Enfin, une nouvelle salle d'eau se trouvait au bout du couloir.

Yasue, qui venait de descendre l'escalier, indiqua à Yoko que sa mère était effectivement présente.

- Elle vous attend.

La remarque de manqua pas de surprendre un peu la jeune fille.

- Bien, je viens tout de suite.

Ainsi donc, elle l'envoyait chercher ? Ce n'était pas tellement dans les habitudes de sa mère. Ce chassé croisé aurait fait sourire Yoko si le contexte n'avait pas été si... palpablement différent. A petits pas légers, l'enfant suivi Yasue dans le couloir puis jusqu'en haut de l'escalier de bois ciré.

L'étage irradiait littéralement sous le crépuscule doré qui virait à l'écarlate derrière les arbres et les montagnes. Depuis combien de temps n'avaient-ils pas eu une si belle fin de journée ? L'hiver avait été rude et long, comme toujours. L'été serait sans doute très chaud dans les terres mais, les dieux soient loués, le vent ne manquait pas dans la cité.

- Kitsuki-sama, Yoko-san est là.

Annonça Yasue, à genoux devant la porte. Yoko s'était agenouillée derrière elle et attendait, les mains croisées sur son kimono. Une sorte de frisson lui grimpa dans la nuque. Son intuition la titillait sans pouvoir l'éclairer en rien. Les choses se passaient très étrangement ce soir.


(edit : couleur)

- Konbanwa, Okasan.

Yoko s'inclina devant l'élégante silhouette de sa mère. Parée des couleurs du phoenix, il n'y avait que ses bijoux de jade pour rappeler discrètement son clan maternel et réhausser le noir profond de ses cheveux. Yoko avait souvent songé que sa mère avait du faire grande impression à son père, le jour de leur rencontre et l'âge et ses grossesses n'avait jamais sû altéré sa beauté. Semblable aux neiges des montagnes du dragon, éternelle et fascinante.

Elle vint s'assoir sans bruit auprès de Kazeageyo, frôlant à peine le tatami comme à son habitude. Elle devina la diplomatie de sa mère dans la forme même de ses kanjis. Le soin mis à leur rédaction était évident sans être ostentatoire. C'était bien l'un des multiples talents de sa mère : savoir faire pencher la balance sans rien forcer.

Si le regard de Yoko devait ses reflets d'ambre à son père, les deux femmes partageaient des traits aériens et une peau de porcelaine. L'enfant avait longtemps envié la chevelure de geai de sa mère, qui semblait avoir été peinte en cascade par un calligraphe de l'autre monde.

Elle sourit à sa mère et attendit.

En guise de réponse aux marques de respect et de politesse de sa fille, Kazeakeyo eut un léger sourire.

Elle laissa sa fille s'installer et lui demanda d'une voix très posée :

- Sais-tu ce que l'Ecole attend de toi demain ?

Yoko s'accorda un instant de réfléxion avant de répondre dans un souffle :

- Non, mère. Vous voulez bien m'expliquer ?

Elle se garda bien de parler du genbuku, même si ses soupçons l'orientaient dans cette direction.

Sept jours. Brusquement, l'échéance qui avait paru ne devoir jamais arriver, n'être qu'une frontière éternellement lointaine, se raprocha comme une bourrasque. Elle était soudain si près... trop près.
Si pour un homme cela signifait énormément - et Yoko avait été témoin de ceci au travers des confidences enthousiastes et craintives de son frère-, pour une femme c'était encore autre chose.
Une femme.
Dans 7 jours, peut-être à peine plus, le monde serait complètement différent.
Les pauses de Kazeageyo permirent à l'enfant de se maintenir bien calme et droite, et comme Yoko lui en fut reconnaissante ! , mais à l'intérieur son estomac avait entortillé un noeud serré.
Yoko s'inclina devant sa mère, ses cheveux accrochant les derniers rayons incarnats du soleil. Pour la première fois, elle se demanda à quoi elle ressemblait aux yeux des adultes.

La phrase rituelle, encore jamais prononcée, acheva de sceller cet instant sans retour :

- Je ferais honneur au Clan et aux miens, mère. Je serai digne de vous et de père, avec l'aide des kamis. Ma vie durant.

Le sort était désormais jeté. Yoko regarda à nouveau sa mère et quelque chose de l'ordre de la compréhenssion tacite passa dans leurs yeux de femmes.

- Mère, est-ce qu'oni-san sera de retour avant ces sept jours ?

Kazeageyo savait que le lien qui unissait ses deux seuls enfants avait toujours été fort. Sans doute avait-elle du se sentir rassurée de savoir qu'ils veillaient l'un sur l'autre avec soin. La question, dans la bouche d'une femme aurait été absolument malvenue. Mais c'était la dernière fois que Yoko pouvait demander de la sorte et toutes deux le savaient.

L'information qui concernait son frère resta un instant en arrière plan dans l'esprit de Yoko. Elle était hypnotisée par le mon doré du kimono maternel.
Comme elle le portait bien ! Comme elle était digne, vétue de cette soie précieuse.
Comme elle taisait bien le poids de cet emblème...

Yoko retint encore une brève seconde le moment de se lever. Elle n'aurait sans doute plus l'occasion d'observer sa mère dans leur intimité.
Puis elle obéït à l'injonction muette de Kazeageyo. Dans un froissement de coton, elle se glissa au côté de sa mère, devant la fenêtre. Seuls quelques centimètres les séparaient. La fille était presque aussi grande que sa mère. Elle tourna la tête et observa le profil découpé dans le bleu violet de la nuit venue. Le phoenix avait laissé place au dragon. A ses mystères. Sous la lune, dame Kitsuki laissait transparaître ses origines.

Tsugukage lui ressemblait, lointain et puissant. Son frère serait là. Yoko puisa dans cette idée un peu du courage qui lui manquait.

Alors que sa fille approchait, Kazeakeyo se tourna vers l'extérieur ; elle laissa le temps à Yoko de contempler le ciel. Ce silence était toutefois lourd de sens, Dame Kitsuki préparait déjà sa fille à ce qui l'attendait. Après cet instant de calme, elle s'adressa à sa fille :

- Tu auras fort à faire ces prochaines semaines. Mais sache que nous te soutiendrons. Tu pourras poser toutes les questions que tu as. Cependant, rappelle toi ce que l'Ecole Isawa t'as enseigné. Cela fait désormais quatre ans que tu es mise en condition pour exercer tes responsabilités envers les Isawa et envers le Clan. Toutefois, n'oublies pas que s'entrainer à exercer le pouvoir est très différent de sa pratique. Quant à l'échec, il n'est acceptable que s'il comporte un enseignement.

Dame Kitsuki se retourna alors vers Yoko. Elle sourit franchement cette fois-ci, laissant derrière ce masque de droiture qui fermait son visage. Bien que cette attitude transpirait toujours dans sa posture, son expression se fit plus chaleureuse.

Elle prit alors sa fille dans ses bras, ce qui déclencha un tourbillon d'émotions chez cette dernière, renforcé par le fait qu'elle savait que c'était probablement la dernière fois qu'une telle étreinte était concevable. Dès le lendemain, elle ne serait plus une enfant, et sa vie changerait.

Kazeakeyo n'ajouta pas un mot.

Yoko resta longtemps blotie dans les bras tendres de sa mère. Pour cette dernière aussi, c'était la fin d'une époque.

- Maman...

Ce fut le dernier mot de Yoko. L'étreinte se ressera. C'était autant une promesse qu'un adieu. Doux et douloureux.

Puis il fallu se séparer. Yoko savait que, bientôt, on appelerait pour le dîner. Elle avait déjà compris qu'elle en serait exeptionnellement dispensée, et sans reproche. Et dès le lendemain, elle devrait se lever avant l'aube pour accueillir le soleil auprès de ses ancètres.
Elle traversa la chambre dans l'autre sens, s'inclina à nouveau devant cette femme remarquable et sortie en refermant derrière elle, captant une dernière fois la silhouette en ombre chinoise de Kazeageyo.
Elle descendit l'escalier comme dans un rêve sans temps ni distance. Il était heureux que sa propre chambre ne soit pas trop loin car sitôt entrée dans ce refuge, les jambes lui manquèrent et elle tomba presque au ralenti sur le futon déjà installé par une servante.
Le cour lui battait si fort dans qu'elle en avait mal jusque dans les reins. Se roulant sur elle même, Yoko serra ses petites mains contre sa poitrine et ferma les yeux. Elle grava l'instant passé auprès de sa mère dans son esprit avec un soin méticuleux.
Les responsabilités, les entraînements, la pratique, l'échec. Tous les mots maternels lui revenaient, lourds de sens et de signification. L'enfance était légère. La vie allait en s'alourdissant.
Elle se demanda comment sa mère avait vécu ses dernières heures de jeune fille.
Se tournant face au plafond, Yoko tâcha d'apaiser sa respiration. Puis, frissonnante mais plus calme, elle alla ouvrir grand les panneaux qui donnaient sur le jardin. La nuit était limpide et baignait les environs dans son velours.

Comme il est fragile
Le silence de la nuit
Le bruit du vent.

Yoko s'étonna de l'énergie qui la poussa hors du lit sitôt les pas évaporés dans le couloir. C'était bon signe, si la Lune et les esprits de la nuit lui avait accordé un tel repos.
Légère comme une souris, elle enfila un yukata avant de filer en silence jusqu'à la salle d'eau pour se laver intégralement. On ne se présentait pas aux ancètres sans être aussi pur que possible. L'eau était froide mais Yoko tint bon. Elle n'allait pas réveiller la maison encore assoupie pour une histoire de confort. Et puis cela acheva de la sortir tout à fait du sommeil.

Elle enfila ensuite la tenue traditionnelle des élèves d'Isawa : Un kimono blanc et un hakama rouge.
Une tresse simple et bien tirée acheva sa tenue.
Il lui restait encore un petit quart d'heure. Dans la cuisine, on avait laissé à son attention des oeufs durs, du riz. et un kaki. Yoko reconnut là l'oeuvre de sa mère. Ce petit fruit doré devait lui porter chance. Dans un mouchoir blanc, elle trouva des pièces de monnaie et des batons d'encens.

Elle avala le tout avec un bol de thé, se lava les mains à nouveau et sorti par le jardin pour atteindre le sanctuaire des ancêtres, un autre bol de riz et le contenu du mouchoir dans un baluchon blasonné au mon de la famille. Elle ramassa au passage une branche du prunier en fleurs.

Le sanctuaire était un peu à l'écart, annoncé par une grande arche de bois orange qui flamboyait toute l'année dans le paysage. Grimpant les quelques marches moussues et poncées qui menaient à l'entrée, Yoko s'inclina profondemment.
Il sembla qu'elle était seule. Le pépiement d'un oiseau dans un arbre annonçait la venue de l'aube.
Alors Yoko alluma un premier baton d'encens, fit le tour du sanctuaire à pas lents et mesurés, puis s'arréta devant l'autel où elle déposa religieusement le riz blanc, la branche et le mouchoir qui contenait l'argent rituel. Elle alluma tous ses bâtons à l'aide d'une lampe à huile, qu'elle planta ensuite devant la stèle majeure du sanctuaire.
Environnée par la fumée et les offrandes, elle s'assit devant l'autel et s'inclina jusqu'à toucher le sol de son front.
Elle resta ainsi, courbée respectueusement, devant la présence sacrée des puissants ancètres du clan.

" - Chers ancêtres, je me présente humblement devant vous pour vous témoigner mon respect et celui de tous les miens. Puisse votre sagesse éternelle éclairer mes pas dans cette épreuve. Puisse votre présence me guider pour honorer les dieux, l'Empereur, et le clan. Puisse-je être digne de votre bienveillance et de vos exploits. Puisse-je ne jamais faillir à mes devoirs et vous faire honneur."

Au fur et à mesure que Yoko récitait le mantra, elle pouvait sentir la chaleur remonter dans son dos. Le Soleil, dans sa rayonnante et parfaite divinité, venait de renaître sur le monde. De même renaissait Yoko. Aux yeux de ses ancêtres, et sous leur égide, elle entamait un nouveau voyage.

Lorsque la lumière eût envahit tout à fait le sanctuaire, faisant luire les stèles polies et leurs kanjis de feu, Yoko se releva et alla à l'entrée tirer la corde de la cloche sacrée. Son tintement se répercuta, serein et déterminé, dans tout le village. Les arbres bruissèrent en réponse.

Yoko salua Yasue, jeta un oeil en direction du couloir pour voir la chambre de son frère mais rien ne signalait s'il était de retour ou non.
Alors la jeune fille prit le chemin du temple d'un bon pas, pour ne pas manquer l'heure de début des cours et arriver même un peu en avance.

Dehors, les artisans sortaient déjà. Les terres du Phoenix s'éveillaient dès l'aube. A contrario, l'activité décroissait rapidement avec le crépuscule.
Finalement, au détour du quartier, Yoko vit le grand temple du Clan. Majestueux, l'emblème ailé surplombait le fronton de toute sa hauteur. D'autres élèves étaient là aussi, discutant sur la place ou se rendant auprès de leurs enseignants. Ils ressemblaient à une volée d'oiseau avec leurs larges pantalons plissés.

Yoko vit Iekata sur le perron. Elle comprit qu'il l'attendait et vint le saluer.

- Konichiwa, Iekata. Je suis prête.

Yoko sourit à Iekata et allât s'installer parmis ses condisciples. Une atmosphère étonnament grave flottait tout autour d'eux. Dans les bannières de l'entrée, l'enfant perçu le son d'une voix qu'elle reconnu à la teinte pour être celle d'un kami. Il murmurait dans les hauteurs. Elle courba imperceptiblement les épaules montrer sa déférence au kami qui leur faisait l'honneur de sa présence. Celui-ci devait être d'un naturel curieux mais sans doute avait-il perçu les enjeux qui se tenaient dans la pièce ouverte sur l'extérieur et observait-il avec gourmandise tous ces enfants Isawa réunis dans l'attente des Maîtres.

Les souffles se suspendirent alors qu'entraient les grands maîtres de l'école d'Isawa et que tous les élèves s'inclinaient d'une seule vague.

Tous les élèves se jetèrent des regars en coin. La même question était dans leurs yeux : que faire maintenant ?
Comme personne ne semblait vouloir bouger, Yoko se demanda si elle pouvait se lever et marcher vers la bannière couleur lavande.
Elle se rappela les paroles d'Iekata
Ne soyez pas trop pressée, maitresse. Les Maitres décideront.

Iekata connaissait le temple par coeur depuis des années. Il connaissait les maîtres et les coutumes. Il aurait été idiot d'ignorer son conseil, d'autant que tous ne pouvaient sans doute pas en bénéficier.
Yoko ne bougea pas. Elle croisa les mains sur ses genoux comme elle avait vu sa mère le faire durant des années lorsqu'elle attendait, immobile. Elle leur donna cette courbe délicate qui rendait Kazeageyo si belle, même dans un instant d'inaction.

Et l'enfant se contenta de travailler sa respiration, en attendant de voir ce qui allait se passer.

Au milieu de cette étrange et perturbante sensation, une bouffée de joie monta dans le coeur de Yoko. L'Air ! Elle se sentait presque rayonner de chaleur à cette idée.

Merci, chers ancêtres, chers kamis, merci !

Des sourires perçaient sur les visages des autres enfants alors qu'ils observaient autour d'eux et se regardaient. Ils se levèrent plus ou moins en même temps et chacun se plaça devant sa bannière, près de l'élève qui avait déjà choisi le feu. Avait-il entendu la voix lui aussi ? C'était bien dans la nature du feu de s'emporter, et Yoko aurait fait la même chose sans l'aide d'Iekata. Il faudrait qu'elle le remercie, quand elle aurait un moment. Première leçon à retenir : Ne pas céder à l'impatience de l'Air. Si le coeur y cède, alors l'esprit ne tardera pas à céder lui aussi.

Yoko songea que les épreuves avaient peut être, en réalité, déjà commencé.